Comédienne, autrice et pédagogue, Morgane Le Rest navigue avec aisance entre cinéma, télévision et théâtre immersif. Son parcours est marqué par des choix audacieux et des collaborations durables, notamment avec le GK Collectif et le Théâtre du Grain. Dans cette interview, elle nous parle de ses rôles, de son rapport au jeu, et de ce qui l’anime profondément dans son travail artistique.

Vous avez navigué entre cours, longs-métrages et télévision. Quelles sont, selon vous, les principales différences de jeu entre ces formats ?
Il y a effectivement des différences. Pour le cinéma, on est beaucoup plus préparé : on a les textes à l’avance, le temps de travailler et de s’investir profondément dans le personnage. La télévision demande beaucoup de réactivité.
J’ai tourné dans une série pour France 3 et pour la chaîne japonaise NHK. Les façons de travailler étaient très différentes entre les équipes françaises et japonaises. Pour la télévision, les accessoires et costumes sont parfois remis le jour même, ce qui ne laisse pas le temps de s’approprier le rôle de manière approfondie. Il faut être très souple, très réactif, en pleine forme physique et mentale.
Pour le cinéma, j’ai eu plus de temps, un travail plus minutieux, plus de préparation. Pour les courts-métrages, cela varie : les productions étudiantes sont plus “fraîches”, parfois moins précises, tandis que les courts-métrages produits sont quasiment comme des films, avec de bonnes conditions de tournage.
Parmi vos rôles au cinéma Rosa, Pelures, Bâtard lequel vous a le plus marqué et pourquoi ?
Je dirais Jeanne Poupelet dans Pelures. Pour Rosa, j’étais assistante photographe, un rôle très proche de moi, facile à incarner. Dans Bâtard, c’était plus une fonction qu’un personnage, mais j’avais co-écrit et co-réalisé le film, donc je connaissais mon rôle sur le bout des doigts.
Pour Pelures, c’était un film d’époque : début XXe siècle, Jeanne Poupelet était sculptrice, avec des costumes d’époque, un corps et une posture spécifiques. J’ai dû faire des recherches pour comprendre son histoire et incarner le personnage pleinement. C’est celui qui m’a le plus marqué.
Dans Les Portes du Vent, vous incarnez une avocate. Comment vous êtes-vous préparée à ce rôle ?
Je suis allée observer des procès, voir comment se comportaient les personnes défendant les présumés coupables. Mon rôle était du côté “des méchants” dans l’histoire, donc j’ai essayé de gommer mes émotions au maximum, d’être impassible, froide, comme l’avait demandé Olivier Brodeur, le réalisateur. Il voulait que je sois comme une “eau qui dort”, dangereuse mais tranquille, incarnant un pouvoir de façon très sobre et subtile. J’ai travaillé avec une amie répétitrice pour affiner mon jeu et gommer les réactions trop visibles.

Au théâtre, vous collaborez régulièrement avec le GK Collectif et le Théâtre du Grain. Qu’est-ce qui rend ces collaborations si fortes et durables ?
C’est une question de confiance et d’histoire commune. Avec le GK Collectif, je travaille depuis mes 25 ans. Gabriela Sherati, la fondatrice, a toujours eu une approche novatrice, expérimentale et immersive. Nous avons grandi ensemble, vécu des émotions intenses et des moments de rire, ce qui rend la collaboration très solide. Nous continuons avec des projets ambitieux, comme un laboratoire de recherche sur la fiction et le réel, avec des chercheurs et artistes partenaires.
Au Théâtre du Grain, nous interrogeons la place de l’artiste dans la cité, notamment dans des quartiers moins représentés. Le théâtre devient un lieu pour relayer des voix invisibilisées, pour donner à voir et entendre des parcours oubliés.
Vous avez incarné des personnages très contrastés : une résistante, une avocate, une mère, un robot rouge. Quel rôle a été le plus exigeant émotionnellement ?
Le robot rouge. C’était un personnage relationnel que je devais incarner pour un spectateur à la fois. Le rôle demandait de passer de l’humanité à la déshumanisation, de manière millimétrée, en fonction des interactions avec le public. C’était une gymnastique intense, mais incroyablement enrichissante.
Le théâtre donne une énergie continue, le cinéma capte des instants. Dans lequel vous sentez-vous le plus libre ?
Je ne me sens pas moins libre dans l’un ou l’autre. Tout dépend du projet et des équipes avec lesquelles je travaille. Le théâtre et le cinéma ont chacun leur langage, et la liberté dépend surtout de la collaboration et de la confiance avec les partenaires.
Vous êtes également autrice. Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire ?
J’ai toujours écrit, depuis la maternelle. J’ai étudié les langues et la littérature classique, mais je n’avais jamais envisagé d’en vivre. Une éditrice, Nathalie Billan, m’a donné ma première chance avec un texte pour un livre de photos sur Brest. Ensuite, j’ai écrit pour le GK Collectif, souvent à plusieurs mains, et pour d’autres projets collectifs et commandés. Cela m’a permis de confirmer mon statut d’autrice. Aujourd’hui, je continue d’écrire et de monter mes textes au plateau, comme pour N1, qui sera présenté au Quartz, scène nationale de Brest.
Si vous deviez définir votre parcours artistique en trois mots ?
Présent, sérendipité et vivace.
Y a-t-il un souvenir de scène ou de tournage qui vous fait sourire ?
Oui, lors de la pièce Urgence, où nous devions jouer sept heures par jour, chacun connaissant tous les rôles. La fatigue et la proximité ont provoqué des moments de fou rire intenses, autant pour nous que pour le public. C’était une expérience extrêmement joyeuse et vivante.
Que souhaitez-vous que le public retienne de votre travail artistique ?
Je souhaite surtout qu’il reçoive des émotions, qu’il y ait de la pensée en cours, et que cela nourrisse ou porte chacun. Ce n’est pas ma personne qui compte, mais ce que cela apporte aux spectateurs.

Quels sont vos projets à venir ?
Je participe à un cycle de recherche avec le GK Collectif et d’autres artistes. Je travaille avec la compagnie Kazar Kazar sur un labo pour leur prochaine création, Marcel. Je fais également une formation AFDAS sur le casting, et je collabore avec la réalisatrice Virginie Vinet pour des documentaires sur la chaîne Chasse et Pêche.
Je poursuis des projets artistiques immersifs et expérimentaux : théâtre sur voilier (Bleu), théâtre infiltré en ville, transmission et pédagogie avec différents publics, et des projets d’écriture et de peinture. Je participe aussi à la production d’un comedy musical, Moi, Nana, Marina, prévu pour 2026.
Propos recueillis par Stéphanie
Photos : Sarah Robine