Marie Mingalon : «Pour moi, être agent, c’est se battre pour que la diversité soit visible à l’écran. »

Fondatrice de l’agence Singularist Paris, Marie Mingalon s’est donné pour mission de transformer le paysage audiovisuel français. Elle a toujours évolué dans le milieu du cinéma et de la télévision. Mais c’est en constatant l’absence de structures pour représenter les comédiens et comédiennes en situation de handicap qu’elle a décidé de créer sa propre agence.
Dans cet entretien, elle revient sur son parcours, ses combats pour une meilleure représentativité, les défis qu’elle affronte au quotidien et les espoirs qu’elle nourrit pour l’avenir de l’inclusion dans le cinéma et la télévision.

Peux-tu nous raconter ton parcours avant de créer Singularist Paris ? Qu’est-ce qui t’a motivée à devenir agente artistique ?

J’ai commencé très jeune, comme assistante d’agent. J’ai toujours travaillé dans le cinéma ou la télévision, en tout cas dans l’audiovisuel. Ce qui m’a motivée à créer une agence artistique, c’est surtout l’envie de représenter des personnes en situation de handicap (ils représentent 20% des comédien.ne.s à l’agence)

Le vrai déclic est venu quand j’ai appris que, pour Netflix, les rôles de personnages handicapés devaient être joués par des comédiens réellement concernés. On m’a alors expliqué qu’il n’existait aucune agence spécialisée et que les directeurs de casting étaient démunis. Dès que je l’ai su, j’ai monté l’agence.

Avec Laura Kaim, ton associée, comment avez-vous structuré l’idée de Singularist dès le début ?

Pour nous, c’était simple : nous voulions une agence artistique qui reflète le monde d’aujourd’hui. Cela signifie représenter des comédiens en situation de handicap, mais aussi des comédiens noirs, issus de la diversité, des personnes trans et plus généralement des visages singuliers, pas seulement des physiques « lisses ».
Au départ, certains nous conseillaient de créer deux agences : une pour les personnes handicapées et une pour les valides. Cela ne nous est jamais venu à l’esprit ! Pour nous, tout le monde est singulier à sa manière.

Quels sacrifices ou compromis as-tu dû faire pour lancer l’agence ?

Le principal sacrifice, c’est le temps. On travaille tout le temps, on est disponible 12 mois sur 12, avec à peine une petite coupure en août. Même en vacances, je pars avec mon ordinateur. À part ça, je n’ai pas l’impression d’avoir fait d’autres sacrifices.

Qu’est-ce que l’inclusivité signifie pour toi au quotidien, dans la gestion des talents, des contrats et des castings ?

L’inclusivité, c’est d’abord se documenter. J’ai beaucoup lu sur la représentativité des personnes handicapées dans l’audiovisuel, en France et à l’étranger.
Ensuite, j’ai cherché des solutions pour que les productions puissent employer des personnes handicapées sans surcoût. Nous travaillons notamment avec l’AGEFIPH, qui accompagne financièrement les tournages et permet aux productions d’embaucher sereinement.

Comment gères-tu les spécificités liées au handicap visible ou invisible de tes artistes ?

Le handicap invisible est le plus difficile à gérer. Parfois, je découvre après plusieurs années qu’un comédien est concerné. Mais si je l’annonce à un directeur de casting, il y a un risque qu’il ne soit même pas auditionné, car cela impose des contraintes d’organisation.
Pour le handicap visible, c’est plus simple : on peut me demander un comédien en fauteuil, par exemple. Mais le vrai combat, c’est de proposer des comédiens handicapés sur des rôles où ce n’est pas précisé. Là, ça coince encore beaucoup.

Singularist sensibilise aussi les productions. Peux-tu nous donner des exemples ?

Oui. Avec le CNC (Appel à Projet Les Uns et Les Autres) et l’Observatoire des Images, nous avons créé LULA, une base de connaissance pour favoriser l’employabilité des personnes en situation de handicap visible sur le net (https://observatoiredesimages.org/les-uns-et-les-autres/

J’ai aussi créé des formulaires pratiques. Par exemple, quand un comédien est en fauteuil, j’explique à la production que le fauteuil est une extension de son corps : on ne s’y assoit pas, on ne s’y appuie pas, on ne l’infantilise pas. Ce sont souvent des maladresses liées à la méconnaissance, donc je sensibilise pour éviter ça.

Comment choisis-tu les talents à représenter ? Y a-t-il des critères au-delà du talent ?

Bien sûr, le talent est essentiel, mais il y a aussi le charisme, la singularité, la “gueule”. On est dans l’image, donc le physique compte aussi. Et c’est très subjectif : un acteur peut me séduire par ce qu’il dégage, alors qu’un autre agent ne serait pas touché.

Quels sont les plus gros défis que tu rencontres en tant qu’agence inclusive en France ?

Le plus gros défi, c’est de proposer des personnes handicapées sur des rôles classiques, non définis comme tels. Par exemple, pourquoi une stagiaire dans une boulangerie ne pourrait-elle pas être trisomique ? Tant que c’est cohérent, je propose. Je n’ai pas eu de retour
C’est différent pour la transidentité : une directrice de casting, Frédérique Amand,  a réussi à imposer une actrice trans de mon agence pour un rôle de greffière dans une série. J’espère que la même ouverture viendra pour le handicap.

Comment envisages-tu le compromis entre représentativité et authenticité des rôles ?

Ça s’appelle le « Cripping up », Aujourd’hui, j’ai beaucoup de mal à voir des comédiens valides jouer des personnages handicapés. C’est un peu comme le blackface : ça me choque profondément.

Quelles sont les réalisations dont tu es la plus fière depuis la création de Singularist ?

Tous mes comédiens me rendent fière. Mais je citerai Camille Goudeau, qui a joué une malvoyante dans Unitaire ”Droit de Regard” réalisé Julie Manoukian , Mayane Borris ,Théophile dans Un P’tit Truc en Plus réalisé par Artus dont le film a fait 11 millions d’entrées ; Charles Pescia Galetto, qui a décroché un premier rôle au cinéma dans « Mon  Inséparable” réalisé par Anne-Sophie Bailly ; et Magali Saby  comédienne – danseuse en fauteuil dans ”Danse ta Vie” réalisé par Jean-Pierre Améris, qui a obtenu un premier rôle dans un film à venir.

As-tu déjà dû refuser un projet ou renégocier fortement pour préserver les valeurs de l’agence ?

Je n’ai jamais refusé un projet en amont, mais j’ai déjà dû me battre après la signature de contrats, face à des situations que je qualifierais de… décevantes.

Pour être honnête, parfois même “dégueulasses”. Mais je garde ça pour moi.

Quel domaine offre selon toi le plus de potentiel pour faire évoluer la représentation inclusive ?

La télévision. C’est là que les choses peuvent bouger le plus vite et toucher le plus grand nombre.

Et dans cinq ou dix ans, comment aimerais-tu voir évoluer Singularist et plus largement l’audiovisuel français ?

Mon souhait, c’est que l’on ne parle même plus d’“agence inclusive”. Que ce soit simplement une agence artistique. Que les comédiens soient choisis pour leur talent, et non pour ou malgré leur handicap.
Je rêve d’un paysage où un acteur handicapé est casté juste parce qu’il est extraordinaire, point. Comme Jamel Debbouze, qu’on ne réduit pas à son handicap, mais qu’on choisit parce qu’il est brillant. C’est à cela que j’aspire pour demain.

Propos recueillis par Stéphanie