Le dimanche 5 octobre, l’actrice Léone François a reçu le Prix de la meilleure interprétation belge au FIFF de Namur pour son rôle dans Côté Cour, court-métrage réalisé par Lionel Delhaye. À travers ce film, le duo aborde avec force et sensibilité des thématiques brûlantes liées à la parole des victimes, à la présomption d’innocence et aux dilemmes que cela suscite. Rencontre avec les deux artistes autour d’un projet qui invite à la réflexion et au débat.

Alors, comment est née l’idée de ce court-métrage ?
Lionel Delhaye : Suite au mouvement MeToo qui s’est créé en 2017, j’ai été témoin de nombreux débats autour de moi . Moi-même, je traversais une question compliquée. D’un côté, j’étais très attaché à la présomption d’innocence et opposé à la « cancel culture », et en même temps, je voulais soutenir les victimes, les croire coûte que coûte, sans remettre en question leur parole.
J’avais du mal à me positionner. J’ai donc eu envie d’écrire une histoire portée par un personnage traversant ce même conflit intérieur, pour trouver ma propre réponse. Et en même temps, plonger le spectateur dans ce questionnement et l’inviter à trouver la sienne.

Comment avez-vous abordé ces thèmes sensibles ?
Lionel Delhaye : Ça a été deux années d’écriture. J’ai fait relire le scénario par des femmes, c’était essentiel pour moi. Ces discussions m’ont permis de confronter ce que j’étais en train d’écrire à d’autres points de vue. Je voulais raconter ce que je traversais, mais surtout défendre une cause : faire entendre les victimes présumées d’agressions et de viols.

Léone François : Moi, je suis la comédienne du film et j’ai aussi suivi le processus d’écriture de Lionel. On a énormément échangé, et il a aussi confronté son scénario à d’autres regards. C’est un sujet brûlant, mais dans le film, plusieurs points de vue coexistent. L’idée, ce n’était pas seulement d’imposer un message, mais de donner la parole à différentes voix.
Est-ce une prise de position ou une invitation au débat ?
Lionel Delhaye : C’est un peu les deux. La fin du film est semi-ouverte : la comédienne principale prend position, mais on ne sait pas vraiment si elle ira jusqu’au bout. L’idée était de laisser le spectateur choisir et débattre après la projection. Mais malgré tout, notre position reste claire : on doit se mettre du côté des victimes et défendre leur parole.
Léone François : Le personnage de Léa sent, dès le début du film, qu’il y a une injustice. Pendant vingt minutes, on la suit dans ce cheminement, jusqu’à ce qu’elle ose écouter son instinct. C’est ça qui est fort. Mais attention, il ne faut pas trop en dire, pour ne pas dévoiler la fin du film !
Si vous deviez résumer le film en une image ?
Lionel Delhaye : J’ai l’image d’une tempête. Au milieu du tourbillon, il existe un espace de calme. Léa, c’est ce personnage qui doit rester ancré dans ses valeurs et écouter son instinct, au cœur du chaos.
Léone François : Pour moi aussi, c’est l’image de fin : ce personnage debout, au milieu du bruit, du vent et de la fumée, mais ancré dans ses positions.
Qu’est-ce qui vous a attirée dans le rôle de Léa ?
Léone François : Je me sens très proche de la thématique. Malheureusement, on l’est tous d’une manière ou d’une autre, que l’on soit victime, proche de victime ou confronté à des agresseurs dans notre entourage. Il y a aussi une mise en abyme forte : l’histoire se passe dans un théâtre, et moi je suis comédienne de théâtre. La question des choix, des collaborations, de la parole qu’on prend, se pose sans cesse.
Comment vous êtes-vous préparée pour ce rôle ?
Léone François : J’ai eu la chance d’accompagner l’écriture du film. Lionel a choisi de le tourner en plan-séquence, ce qui a été un vrai cadeau : ça m’a permis de plonger entièrement dans le personnage, dans toute sa complexité, sur la durée.
En plus, j’ai beaucoup travaillé en amont : lectures, témoignages, discussions, répétitions. On a ensuite répété quatre jours dans le théâtre de Namur. Le film a été tourné en une seule prise continue, sans coupe ni triche. On a fait quatorze prises, six ont été menées jusqu’au bout, et finalement c’est la douzième qu’on a choisie.
Avez-vous ressenti une proximité avec les dilemmes de Léa ?
Léone François : Oui, bien sûr.
Est-ce une responsabilité particulière de jouer dans un film sur ce thème ?
Léone François : Oui, c’est une responsabilité. Mais au fond, on est tous responsables dans nos choix et nos positions, pas seulement sur cette thématique mais dans la vie en général.
Qu’aimeriez-vous que le public retienne de Léa ?
Léone François : Sa capacité à oser. Oser s’opposer, s’indigner, être ce grain de sable qui fait la différence quand une cause est juste.
Lionel Delhaye : Oui, on voulait montrer un personnage qui écoute sa voix intérieure et ose dire « non ». Ça demande beaucoup de courage, surtout quand on est à trente minutes du lever de rideau.
Si Léa pouvait donner un conseil, lequel serait-ce ?
Léone François : Rebellez-vous ! Indignez-vous !
Et si l’histoire continuait après cette soirée, où irait Léa ?
Lionel Delhaye : Je préfère ne pas répondre. L’objectif du film, c’est justement que chacun reparte avec des questions et puisse se forger sa propre réponse.
Propos recueillis par Stéphanie
Photos : Médias tout azimut et Fabrice Mertens