Judith Longuet-Marx et Léa Tarral : « Le film Du Pain et des Jeux parle avant tout d’amitié et de solitude »

Nous avons rencontré Judith Longuet-Marx et Léa Tarral au FIFF de Namur, où elles présentaient leur dernier film, Du Pain et des Jeux. Ensemble, elles reviennent sur la genèse du projet, leur démarche artistique singulière et leur manière de confronter un personnage marginal à l’univers codifié des Jeux Olympiques. Un échange riche, qui explore l’amitié, la solitude et la poésie du réel au cinéma.

L’idée du film, comment est-elle née ?

En fait, nous avions envie de mélanger deux univers qui, a priori, n’avaient rien à voir : le monde des Jeux Olympiques et celui de Ferdinand, notre personnage principal. Nous voulions observer cette rencontre comme une expérience chimique : qu’allait-il se passer en propulsant ce personnage très maladroit et atypique dans l’univers ultra-codifié et compétitif des JO ? C’est cette collision qui nous intéressait.

Le titre du film est très évocateur. Que symbolise-t-il pour vous ?

Le titre vient d’une citation du poète latin Juvénal : « Du pain et des jeux ». À l’époque romaine, cela signifiait que pour gouverner plus facilement un peuple, il suffisait de le nourrir et de le divertir, afin de détourner son attention de la politique.

Nous avons choisi ce titre en écho au contexte politique français : les JO arrivaient juste après la dissolution de l’Assemblée nationale, et Emmanuel Macron avait parlé d’une « trêve ». Les JO apparaissaient alors comme un grand divertissement permettant de détourner le regard des tensions politiques.

Quelle est la thématique centrale du film ?

Le film parle beaucoup d’amitié. Ferdinand est un personnage marginal, solitaire, qui n’a qu’une amie et fait de la musique.

Ce thème nous tient à cœur car il correspond aussi à notre manière de travailler : nous collaborons avec des amis depuis longtemps, acteurs ou techniciens. L’amitié traverse donc naturellement le film.

Mais il y a aussi la question de la solitude, de la précarité émotionnelle, et de la difficulté de vivre à Paris. Ferdinand lutte pour tenir debout, pour ne pas sombrer.

Le format est court (27 minutes) mais dense. Comment avez-vous travaillé la structure narrative ?

Le film est une docu-fiction conçue très rapidement, sans longues années d’écriture. Nous avons beaucoup travaillé à partir du réel, sur le tournage et le montage.

La narration repose sur la confrontation : mettre Ferdinand dans des situations où son univers entre en collision avec celui des JO. C’est un cinéma physique, corporel, qui naît du choc entre des mondes.

Nous ne cherchions pas une structure narrative classique : le récit est moins important que la confrontation entre le personnage et le cadre imposant des Jeux.

Pourquoi avoir choisi ce sujet des Jeux Olympiques ?

Ce qui nous intéresse dans les JO, ce n’est pas le sport, mais la dimension politique. Les Jeux constituent une forme de récit national, hautement symbolique.

Nous voulions témoigner de ce moment en France, de manière spontanée. Et puis, filmer Paris transformé en immense décor pour les JO était une occasion unique. Comment faire du cinéma sans argent, sans autorisations, mais avec des décors qui valent des millions ? C’était un défi stimulant.

Comment s’est passée votre collaboration ?

Nous travaillons ensemble depuis plus de dix ans, d’abord dans le théâtre, puis au cinéma. Nous co-écrivons, conceptualisons ensemble, mais l’acteur principal, Ferdinand, qui est aussi notre ami, a énormément contribué, notamment par l’improvisation.

C’est une écriture collective, très vivante.

Quelle a été la scène la plus marquante à tourner ?

Les tournages dans le Stade de France. C’était une expérience unique, extrêmement intense.

Le bruit, les foules, les musiques superposées, les stimuli visuels… C’était tellement saturé que nous avions parfois l’impression que notre cerveau se mettait en pause. Une sensation inoubliable.

Qu’avez-vous appris l’une de l’autre pendant ce film ?

Léa : J’ai découvert la capacité d’adaptation de Judith dans ce contexte « pirate », en plein réel, au milieu des foules.
Judith : J’ai été impressionnée par Léa, qui n’avait jamais filmé, et qui partait seule avec une caméra pour tourner, improviser, capter des moments uniques.

Comment espérez-vous que le public réagisse en découvrant le film ?

Nous espérons que le public ressentira de l’empathie pour Ferdinand. C’est un personnage fragile, sur la limite, qui parle peu et souvent tout seul.

C’est un pari risqué, mais nous aimerions que les spectateurs perçoivent sa lutte intérieure, sa fragilité, au-delà de l’humour du film.

Quels sont vos prochains projets ?

(Rires) Vivre. Travailler moins. Et puis, oui, il y a des projets, mais nous préférons garder le secret pour l’instant…

Propos recueillis par Stéphanie

Photo : Médias tout azimut