Nous avons rencontré Jean Forest lors du Festival International du Film Francophone (FIFF) de Namur. Avec son court documentaire Réunion de famille, l’artiste et réalisateur a ému le public et a remporté, dimanche 5 octobre, le Prix du Public. Dans cet entretien, il revient sur la genèse de son film, sa démarche artistique et ses envies futures.

Comment est né ce projet de documentaire ?
À l’origine, il est né d’une série de peintures que j’ai commencée en 2020, pendant le Covid, à partir de photographies familiales. En cherchant des archives, je suis tombé chez mon oncle sur un placard rempli de films en Super 8. C’est là que j’ai vu, pour la première fois, mon père vivant à l’écran, animé par ces images.
À partir de ce moment, j’ai eu envie d’en faire un film. Cela a été un biais pour remettre son histoire, et celle de sa disparition dans un accident de voiture, sur la table. C’était un sujet resté assez silencieux dans la famille, à cause du caractère dramatique de l’événement. La peinture a donc été l’excuse pour rouvrir ce chapitre et commencer un véritable parcours de deuil.
Filmer une réunion familiale, c’est toucher à l’intime. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre proximité et distance ?
C’est une question difficile. Pour moi, ce sujet reste sensible, mais ma « chance », si je peux dire, c’est que je n’ai aucun souvenir direct de l’accident. J’étais trop petit. Cela crée une distance, qui me permet aujourd’hui d’aborder un événement traumatique qui pourtant me concerne directement. Mon frère, par exemple, n’a pas cette distance. On dit souvent que ce sont les générations suivantes qui parviennent à mettre des mots sur les traumatismes familiaux. Dans mon cas, je suis à la fois concerné, mais protégé par l’absence de mémoire. C’est ce qui m’a permis de filmer et de réfléchir à tout ça.
Y a-t-il une scène que vous considérez comme le cœur du film ?
Je dirais la scène de la découverte des archives. C’est vraiment le point de départ de tout. Mais plusieurs scènes sont fortes, notamment celle qui évoque l’accident. La découverte du Super 8 reste toutefois le moment fondateur.
Qu’est-ce qui vous attire le plus dans le documentaire : montrer, témoigner, questionner… ou tout à la fois ?
Un peu tout à la fois. La réalité est déjà tellement riche qu’elle n’a rien à envier à la fiction. Le documentaire a cette force de montrer des choses à nu, sans rien inventer. Et ce sont ces vérités-là qui touchent directement les spectateurs.
Pourquoi avoir choisi le format du court documentaire pour cette histoire ?
Je n’avais pas envie de retenir les gens plus de 30 minutes avec cette histoire. Et puis, il y a une question d’économie et de faisabilité : un long métrage coûte énormément d’argent et de temps. Rien que pour 25 minutes, il m’a fallu près de cinq ans entre les écritures, les demandes de financement, les refus, les réécritures… C’était déjà un chemin très long. Mais le court métrage me paraissait aussi le format le plus juste pour commencer. J’ai en tête d’autres projets, y compris des longs, mais plutôt en fiction.
Justement, imaginez-vous un jour passer au long documentaire ou basculer vers la fiction ?
Oui, absolument. J’ai en tête depuis longtemps un projet de long métrage de fiction, mais ce n’est pas le même travail. Gérer un plateau avec beaucoup de techniciens, ce n’est pas comparable au documentaire, où j’ai fait beaucoup de choses moi-même. Mais c’est une envie très présente. Cette histoire personnelle est tellement fondatrice pour moi que j’aimerais la réinventer à travers la fiction.
Qu’est-ce que cela représente de présenter Réunion de famille au FIFF de Namur ?
C’est très émouvant. C’est la première mondiale, l’aboutissement d’un parcours de création intense et semé d’embûches. Le montrer à Namur est une grande joie. J’étais déjà venu au festival en 2023, pour participer à un atelier, et revenir aujourd’hui avec un film, c’est un vrai accomplissement. Je vis à Bruxelles depuis quinze ans, donc j’ai aussi la chance d’être entouré d’amis qui seront présents. Pour moi, c’est une journée de célébration.
Et quels sont vos projets ?
J’ai beaucoup de projets. Je travaille régulièrement sur commande : des séquences animées pour des documentaires, des films, des génériques. Mais à titre personnel, je veux me tourner vers la fiction. Cela demande du temps, de l’écriture, des rencontres avec des producteurs… Je pense commencer par un court métrage, puis aller vers le long. En parallèle, j’aime aussi expérimenter avec d’autres formes : l’animation, les collages, la peinture, la musique. Mais à long terme, réaliser un long métrage de fiction reste un rêve que je porte depuis longtemps.
Propos recueillis par Stéphanie
Photos : Médias tout azimut