Dani Kouyaté : « J’ai fait le pari de ne pas montrer une seule goutte de sang »

Nous avons rencontré le réalisateur burkinabè Dani Kouyaté lors du Festival International du Film Francophone de Namur. Lauréat de l’Étalon de Yennenga avec Katanga, la danse des scorpions, il nous a parlé de son adaptation singulière de Shakespeare, de la puissance de l’oralité africaine, et de ce défi permanent qui l’anime : faire dialoguer tradition et modernité à travers le cinéma.

Comment est née l’histoire de Katanga, la danse des scorpions ?

Cette adaptation de Shakespeare est née de mon envie d’utiliser la force de notre tradition orale, de notre langue, dans un film. Je voulais m’appuyer sur la puissance de l’oralité. Pour cela, il fallait un grand texte qui puisse être soutenu par la langue. Or, Shakespeare travaille précisément sur la beauté et la poésie de la langue anglaise. Adapter Shakespeare m’est donc apparu comme une évidence.

Que représente le titre, très évocateur, du film ?

Katanga évoque souvent une région du Congo, marquée par des guerres et des conflits politiques. Si bien que, dans notre langue, quand une situation est compliquée, on dit : « C’est Katanga. » C’est de là que vient la première partie du titre.
La deuxième partie, La danse des scorpions, provient d’un passage de Macbeth. Lorsque Macbeth, ivre de pouvoir, sombre dans la folie, il confie à Lady Macbeth qu’il sent « des scorpions danser dans sa tête et chatouiller son cerveau ». J’ai voulu reprendre cette image forte.

Quelles ont été les principales difficultés pendant le tournage ?

La plus grande difficulté a été la traduction. Je tenais à m’appuyer sur le moré, la langue majoritaire du Burkina Faso, qui porte toute la richesse de notre oralité : proverbes, dictons, sagesse populaire. Mais traduire Shakespeare en moré n’est pas simple.
Il a fallu trouver quelqu’un qui connaisse à la fois Shakespeare et le moré. Puis un autre, qui ne connaissait pas Shakespeare ni même le cinéma, mais qui maîtrisait parfaitement la langue et pouvait nous dire : « Ça, on peut le traduire ainsi » ou « Non, ça ne veut rien dire, il faut un proverbe ». Ce travail a pris énormément de temps.
Ensuite, il fallait revenir au français pour les sous-titres : un véritable voyage aller-retour qui enrichissait chaque fois le texte de Shakespeare.

Que représente ce film dans votre parcours de cinéaste ?

C’est mon dernier film et celui qui m’a valu le plus grand trophée du cinéma africain : l’Étalon de Yennenga. C’est une consécration et une reconnaissance de mon travail. Mais c’est aussi un défi : une fois au sommet, que faire ? Comment aller plus haut que le plafond ? C’est le vrai challenge.

Que signifie pour vous de présenter Katanga au FIFF de Namur ?

C’est un grand bonheur. D’autant plus que j’ai travaillé avec plusieurs techniciens belges : mon directeur photo, mon étalonneur, mon ingénieur du son… Ce film n’avait pas de budget, mais il a été porté par la force de l’amitié et de l’énergie humaine. Le présenter à Namur, c’est symboliquement très fort pour moi.

Quels projets aimeriez-vous explorer après ce film ?

Chez nous, un film demande souvent cinq ans de gestation, car nous ne faisons pas de cinéma commercial. Pour l’instant, je viens à peine de sortir de Katanga ; je suis encore en réflexion. Mais je sais déjà que le prochain projet prendra du temps à mûrir.

Vos films explorent souvent les tensions entre tradition et modernité. Est-ce aussi le cas dans Katanga ?

Oui et non. En Afrique, tradition et modernité sont constamment en collision. Dans nos villes, on croise à la fois des ânes et des voitures de luxe, des boubous et des vestes, des sabres et des kalachnikovs. Les deux se mélangent au point qu’on ne sait parfois plus où l’on se situe. Cet entre-deux est souvent traumatisant, mais il nourrit aussi mes films.

Quelles réflexions vouliez-vous susciter sur le Burkina Faso et, plus largement, sur l’Afrique contemporaine ?

Shakespeare est universel. Macbeth a été adapté partout dans le monde. Moi, je l’ai adapté en Afrique, et c’est toujours le même texte, parce qu’il parle du pouvoir et de la folie des hommes face au pouvoir. C’est valable au Burkina Faso, mais aussi aux États-Unis, où Donald Trump peut être vu comme un Macbeth moderne.

La “danse” du titre évoque à la fois l’art et la lutte. Comment avez-vous travaillé cette dimension symbolique ?

Le texte de Macbeth est sans doute le plus sanglant de Shakespeare. Pourtant, j’ai fait le pari de ne pas montrer une seule goutte de sang dans mon film. J’ai choisi de traiter la violence par la métaphore. L’art permet cela : transformer la lutte en images poétiques.
Même la mort de Macbeth change : chez Shakespeare, il est assassiné violemment. Dans ma version, il se suicide tranquillement, presque sereinement. Là encore, c’est une métaphore : tout le monde y trouve son compte.

Propos recueillis par Stéphanie

Photo : Médias tout azimut