Benoît Delépine : « L’humour, ça sert à ne pas se prendre au sérieux »

On a rencontré Benoît Delépine au Festival International du Film Francophone de Namur, où il présentait Animal Totem. Fidèle à son esprit libre et à son franc-parler, le réalisateur s’est confié sur la naissance de son film, ses colères, ses convictions, mais aussi sur ce mélange d’humour et de poésie qui caractérise son cinéma.

Comment est née l’idée d’Animal Totem ?

Comme toutes les idées, c’est un peu difficile d’en faire la genèse absolue. Mais en fait, dans ma campagne, où j’habite depuis 27 ans, dans un petit village de Charente, il y avait un projet d’usine de bitume qui menaçait de s’installer. Pendant plus d’un an, on a monté un collectif, on a manifesté pour empêcher sa construction. Mais je pensais que, malgré tout, ça allait se faire. Une fois que les démarches et les autorisations administratives sont lancées, on se dit que c’est foutu.

Alors je me suis dit : il faut que je fasse au moins une vengeance symbolique, artistique, avec un film. C’était l’idée de départ. Ensuite, pourquoi ce personnage avec une valise à roulettes ? Je crois que, quand on est concentré sur un projet, une image peut surgir à l’improviste. Un jour, pendant un voyage, j’ai entendu le bruit des roulettes… et je me suis dit : j’ai déjà fait un road movie en moto, un autre en chaise roulante, pourquoi pas en valise à roulettes ? Et c’est parti comme ça.

Le titre est intrigant… Si vous deviez choisir votre propre animal totem, ce serait lequel ?

Je dirais que je suis fasciné par l’élan orignal. C’est un animal assez disgracieux, mais en même temps très impressionnant.
Mais quand je fais un film, je me rapproche plutôt du cheval de trait. J’ai vraiment l’impression de tirer une charrue tout seul… Alors qu’avant, dans les films que j’ai réalisés avec Gustave Kervern, on était deux chevaux de trait à tirer.

Votre film mêle humour, poésie et critique sociale. Qu’est-ce qui vous guide dans l’écriture : le rire ou la colère ?

Les deux. Il y a évidemment de la colère, mais je ne veux pas me poser en donneur de leçons, parce que moi-même je suis plein de contradictions. L’humour sert justement à ça : à ne pas se prendre au sérieux. Sinon, ça ne marche pas. Mais malgré tout, on peut défendre de vraies convictions à travers ce mélange.

Comment s’est passée la direction d’acteurs ?

C’était souvent avec Samir (Guesmi), qui est ici présent. Ça a été un bonheur. Même si je n’avais jamais travaillé avec lui, il a tout de suite compris le personnage. Il devait trouver un ton particulier, presque de philosophe chinois : quand il s’adresse aux animaux, aux éléments ou aux gens, il ne prête pas à rire, il attire l’attention. J’ai trouvé ça très beau. On a refait deux-trois détails en post-synchro, mais sinon il s’en est sorti magnifiquement.

Vous laissez beaucoup de place à l’improvisation, ou tout est écrit ?

Dans ce film, quasiment tout était écrit. On a cette réputation de tourner librement, mais en fait, nos scènes sont souvent très cadrées. Ici, il y a juste une scène improvisée : celle du bidon de produits chimiques, que j’ai imaginée en cours de tournage, parce que je sentais que c’était le point fondamental de l’histoire. Mais à part ça, tout était écrit. Bien sûr, certains acteurs ont apporté des petites touches personnelles. Par exemple, Pierre Lotin, dont le rôle était secondaire, a trouvé des choses qui en ont fait un personnage vraiment drôle et marquant.

Quel a été le moment de grâce, et celui de galère, pendant le tournage ?

Le moment de grâce, pour moi, c’est Olivier Rabourdin, qui joue le méchant. Son ton glacial, sa façon de ne pas craindre les silences… ça nous a tous tétanisés, Samir compris. On était sciés par sa présence.
La vraie galère, ça aurait pu être le renard. Quand on lâche un renardeau, il peut filer à tout moment et ne rien faire de ce qu’on attend de lui. C’était un peu chaotique, mais au final, grâce à Samir qui a réussi à jouer avec lui malgré son excitation, la scène est devenue très belle.

Avec Gustave Kervern, vous avez marqué le cinéma français avec un style unique. Qu’est-ce qui vous pousse encore à raconter des histoires ?

Je ne sais pas trop… Mais par exemple, sur ce film, j’ai été ravi de dessiner moi-même l’album du pigeon voyageur. Toute la scène qui en découle, et sa morale — arrêter d’être impatient, arrêter de vouloir réussir à tout prix — je la trouve très belle. Ça valait le coup rien que pour ça. Et puis il y a une autre scène dans une déchetterie que je voulais absolument tourner… mais je ne peux pas en dire plus sans spoiler.

Selon vous, le cinéma engagé a-t-il encore sa place face aux grosses productions ?

On pourrait croire que non. Mais la semaine dernière, j’ai vu Une bataille après l’autre de Thomas Anderson, et je me suis dit : quand on ose, on peut faire du cinéma réellement engagé, même avec une fiction et de gros moyens. En documentaire, ça a toujours existé, mais la fiction engagée, c’est encore possible.

Qu’est-ce que ça vous fait de présenter Animal Totem en compétition au FIFF ?

Je ne savais même pas qu’on était en compétition ! (rires) J’aurais dû refuser. Dans le film, je fais dire au héros que « l’honnête homme refuse la compétition »… sauf au tir à l’arc !

Propos recueillis par Stéphanie

Photo :Médias tout azimut