Alexis Desseaux : “Chaque personnage cache une part d’humanité à explorer !”

Comédien de cinéma, de télévision et de théâtre, Alexis Desseaux a traversé plus de trois décennies d’arts vivants avec une curiosité insatiable. Formé au théâtre, il s’est fait connaître du grand public grâce à son rôle récurrent de Vincent Motta dans la série Julie Lescaut, tout en menant parallèlement une carrière riche au cinéma (Valmont de Milos Forman, La Cité de la Peur, Les Tuches 5…) et sur les planches, où il enchaîne les rôles exigeants et passionnants.
Dans cet entretien, il revient sur ses collaborations marquantes, son regard sur l’évolution du métier et son amour intact pour le théâtre.

Vous avez joué sous la direction de Milos Forman dans Valmont. Comment se passe une collaboration avec un réalisateur d’une telle envergure internationale ?

J’étais très jeune à l’époque… On est un peu dans ses petits souliers face à un tel réalisateur. On essaie de comprendre toutes les indications, de trouver sa place dans une grosse production, en sachant qu’au final, on ne sait jamais vraiment ce qu’il restera au montage.

Souvent, il ne reste pas ce qu’on espérait. Mais on se rend le plus disponible possible, on est attentif à chaque détail. Et comme, en l’occurrence, c’était assez physique, il fallait vraiment rester concentré.

Dans La Cité de la Peur, vous avez participé à un film devenu culte. Aviez-vous conscience, à l’époque, de l’impact que ce film aurait encore 30 ans après ?

Non, absolument pas.
Sur le moment, on est tellement dans l’instant présent qu’on ne pense pas à ça. Les tournages vont très vite. Je me souviens même d’un plan-séquence que j’avais tourné, mais qui a finalement été coupé au montage parce qu’il jurait avec le reste du film.
On sent parfois une alchimie particulière, une ambiance unique… mais on ne soupçonne jamais que l’œuvre deviendra culte. Et c’est bien aussi que ça nous échappe.

Vous avez aussi tourné dans Les Tuches 5. Qu’est-ce que cela fait de passer d’un cinéma d’auteur à une comédie populaire adorée du public ?

C’était un vrai clin d’œil, et surtout un plaisir personnel de retrouver Jean-Paul. Entrer dans une comédie aussi marquée, où tous les personnages ont déjà une habitude de jeu, c’était réjouissant.
J’aimerais tourner davantage dans ce type d’aventure, car même si c’est très divertissant, cela demande aussi une vraie rigueur. Mais oui, c’est très agréable de passer d’un cinéma plus introspectif, presque philosophique, à une comédie populaire où l’on peut se libérer dans un autre registre.

Le cinéma a beaucoup évolué depuis vos débuts, notamment avec le numérique et les plateformes. Quel regard portez-vous sur cette évolution ?

Il y a deux aspects. Le côté positif, c’est l’accessibilité. Aujourd’hui, les jeunes réalisateurs, même sans gros budgets, peuvent raconter leurs histoires grâce à des moyens techniques abordables.
Mais, en contrepartie, il y a une multiplication d’images, une overdose parfois. Trop d’histoires, trop de genres qui se mélangent. Cela crée une confusion et pousse certains à vouloir se différencier à tout prix. Résultat : on est noyés sous les images et il faut savoir se protéger.
Dernièrement, j’ai tourné un pilote de série sur fond vert. C’était fascinant sur le plan technique, mais aussi un peu frustrant : parfois je jouais seul, en donnant la réplique à des personnages qui n’étaient pas là. C’est stimulant, mais aussi déstabilisant. Cette technologie est impressionnante… mais elle peut mettre de côté des mémoires vivantes, des individus. Et ça, c’est un risque.

Votre rôle récurrent de Vincent Motta dans Julie Lescaut a marqué toute une génération. Comment avez-vous vécu cette longue aventure télévisée ?

Très bien. D’autant que j’avais un accord avec la production qui me permettait d’apparaître régulièrement, mais sans être trop accaparé. Ça m’a préservé pour le théâtre, tout en me donnant le plaisir de retrouver une équipe et de voir évoluer les personnages au fil des années.
C’est un vrai bonheur, car notre métier est souvent solitaire. Retrouver un collectif sur la durée, c’était humainement précieux.

Et comment construit-on un personnage sur plus de vingt ans ?

C’est une collaboration avec les auteurs. On projette certaines choses dans notre jeu, parfois inconsciemment, qui stimulent leur imagination. Alors ils développent des pistes, de nouvelles situations…
Finalement, c’est un travail à double sens : on nourrit le personnage, et en retour, le personnage nourrit l’écriture. C’est pour cela qu’il n’y a pas eu de monotonie.

Dans Capitaine Marleau, vous retrouvez l’univers policier, mais avec un ton très particulier. Comment décririez-vous cette expérience avec Corinne Masiero et Josée Dayan ?

Un vrai plaisir. Josée Dayan aime beaucoup les comédiens, elle est attentive et respectueuse. Mais elle travaille vite : une ou deux prises, pas plus ! C’est un challenge, mais aussi une marque de confiance.

Avec Corinne Masiero, il fallait être totalement présent, à l’écoute. Elle fonctionne beaucoup sur l’improvisation, avec une énergie théâtrale. Et elle détecte immédiatement si vous êtes sincère ou si vous “fabriquez”. J’aime ce genre de défi qui ramène à l’authenticité.

Entre Julie Lescaut, Joséphine Ange Gardien ou Famille d’accueil, vous avez exploré des registres variés. Y a-t-il encore un rôle que vous aimeriez incarner à la télévision ?

Oh oui, plein ! J’aime la psychologie des personnages, quel que soit leur milieu. Ce qui m’intéresse, c’est d’ajouter ce qui n’est pas écrit, de trouver un sous-texte, un contre-pied.
J’aime l’humanité, sa complexité, et je trouve toujours quelque chose à explorer. Ce que je recherche, c’est d’apporter une conscience supplémentaire au personnage.

Quelle différence voyez-vous entre tourner pour la télévision et pour le cinéma ?

Le cinéma est un milieu très fermé, très sélectif. J’aimerais tourner plus de films d’auteurs, mais cela dépend beaucoup des rencontres. Et puis certains personnages ne m’intéressent pas, donc cela me préserve aussi.
La télévision, en revanche, m’a toujours accompagné comme un privilège. Pour moi, c’était une véritable école : une formation rémunérée sur l’image, la technique, mais aussi les comportements humains sur un plateau. Et en parallèle, j’ai toujours continué le théâtre, parfois même sans moyens, parce que c’était ma respiration artistique.

Avez-vous déjà refusé un rôle à la télévision ?

Oui.

Avec le retour en force des grandes sagas télévisées, seriez-vous tenté par une série au long cours comme Demain nous appartient ou Un si grand soleil ?

C’est drôle, je me posais la question hier soir. J’ai déjà participé à Plus Belle la Vie dans un prime, et c’était intéressant.
Si c’est une série au long cours avec de vrais personnages forts à défendre, oui, je serais partant. Mais si c’est juste de la récurrence sans enjeu artistique, ça ne m’attire pas.

Vous jouez aussi beaucoup dans des courts et moyens-métrages. Qu’est-ce qui vous attire dans ce format plus intime ?

L’intimité. Dès le départ, il y a un vrai dialogue avec le réalisateur ou la réalisatrice. On peut explorer, proposer, transformer.
Le format court oblige à aller à l’essentiel. Pas de dispersion, il faut être efficace et impliqué. J’aime ça. Et comme ce sont souvent des projets précieux pour les jeunes cinéastes, je m’y investis pleinement.

Beaucoup de jeunes réalisateurs vous sollicitent. Qu’est-ce qui vous séduit chez eux ?

Leur énergie et leur audace.
Si je sens une vraie motivation, un sujet qui leur tient à cœur, c’est contagieux. Mais si c’est juste pour “faire un tournage”, ça m’intéresse moins.

Vous avez écrit et joué dans un showbuzzz. Qu’est-ce que cela change de passer derrière la caméra ?

Je ne suis pas technicien, donc j’ai besoin d’une équipe solide pour l’aspect matériel. Ce qui m’intéresse surtout, c’est la direction d’acteurs.
Pour moi, diriger un comédien, c’est un travail intuitif, presque inné. Ce n’est pas “mets-toi là, fais ça”, mais plutôt un encouragement, une exploration à deux. C’est très créatif, presque comme de la peinture.

Le théâtre est-il une respiration nécessaire entre deux tournages ?

Oui, absolument.
Au théâtre, il n’y a pas de triche. On est dans la vérité, avec le public, dans une relation immédiate. On ressent leurs vibrations, leurs silences, leurs réactions. C’est un renouvellement constant, et ça me nourrit autant que ça m’exige.

Que pouvez-vous nous dire de votre dernière pièce ?

Depuis que j’ai arrêté Cyrano, j’ai rejoué Le Choix des Âmes. En ce moment, je joue une pièce créée à Avignon, qui se déroule dans les années 2000, au moment de l’arrivée d’Amazon et des gros porte-conteneurs. On y explore les relations humaines et sociales dans le milieu des dockers.
C’est une mise en scène très visuelle, presque cinématographique, avec un grand plateau. J’aime beaucoup cette diversité. Et déjà, je prépare un nouveau projet autour du harcèlement dans la musique classique, qui se jouera à partir de mars.

Parmi tous vos rôles, lequel a été le plus difficile et lequel le plus amusant ?

Le plus difficile, peut-être Le Misanthrope, pour la rigueur des alexandrins. Le plus intense physiquement, Antoine et Cléopâtre de Shakespeare.
Et le plus complet, le plus réjouissant : Kean d’Alexandre Dumas. Parce qu’il y a tout dedans : le théâtre, l’être et le paraître, l’humour, la profondeur. C’est un rôle que j’adore.

Si vous pouviez rejouer une scène culte de votre carrière, laquelle choisiriez-vous ?

Sans hésiter, Kean. J’ai l’impression que ce personnage ne me quittera jamais, tant il est riche et contrasté.

Pour terminer, y a-t-il un rôle ou un genre que vous rêvez encore d’explorer ?

Je ne peux pas donner un exemple précis, car il y en a trop ! Je suis très attentif aux gens, à leur diversité, à leur complexité. Chaque rencontre est une source d’inspiration.
Alors, oui, il reste encore beaucoup de rôles que j’aimerais explorer.

Propos recueillis par Stéphanie

Photos : Natacha Lamblin, David Yol et Fred de Sousa