Etienne Bloc, l’un des trois scénaristes de la série Quiproquo, et Maxime Pistorio, réalisateur des quatre premiers épisodes, reviennent sur la genèse de ce projet original, mélange de comédie, drame et ancrage social.
Ensemble, ils racontent la naissance de l’univers, la collaboration entre auteurs et comédiens, les défis du tournage et l’accueil enthousiaste reçu au Festival de La Rochelle.

Comment a été mené le projet Quiproquo et qu’est-ce qui vous a donné envie de réaliser les 4 premiers épisodes ?
Etienne Bloc :
À la base du projet, il y avait un rappeur carolo, Simon Delocos — connu sous le nom de Mochelan — qui voulait parler de Charleroi, comme il le fait dans sa musique. Il avait imaginé un personnage de rappeur qui veut sauver une salle de concert, dans un petit format de trois minutes, qu’il développait en transmédia (audiovisuel, musique, BD).
La RTBF a voulu en faire une vraie série de 52 minutes, plus étoffée. Il a donc fallu faire appel à des scénaristes. La boîte de production est venue nous chercher : Camille Didion, Christophe Beaujean et moi-même.
On a créé les personnages, notamment Julia, l’avocate. Et comme on aime la comédie, on en a apporté. Cela permettait d’éviter un ton uniquement dramatique, pour refléter la vie : tragique par moments, mais aussi drôle. Pour parler de Charleroi sans clichés, c’était essentiel.

Maxime Pistorio :
Quand je suis arrivé, les scénarios étaient déjà bien avancés. Ce qui m’a plu, c’est que tous les personnages partageaient une même envie : réinventer leur vie. Cette résilience collective m’a touché.
J’aimais l’humour, l’idée de parler de justice “en marge du système”, et le regard tendre porté sur les personnages. Le vrai déclic a été à la lecture de l’épisode 2, avec une séquence de médiation très drôle et bien écrite. Je me suis dit : si toute la série est comme ça, il faut absolument la faire ! Et non seulement c’était le cas, mais tourner cette scène a été l’un des plus beaux moments du tournage.
Travailler avec une équipe d’auteurs, c’est plus une partie de ping-pong ou une réunion de copropriété ?
Etienne Bloc :
Entre auteurs, nous avions déjà travaillé ensemble. On a des automatismes, pas d’égo mal placé, et on connaît nos forces et faiblesses.
Notre méthode est chronophage : on lit et relit tout à trois. On décide ensemble, on part chacun écrire, puis on met tout en commun et on retravaille jusqu’à la dernière virgule. Ça prend du temps, mais ça évite les réécritures inutiles.
Parfois, on se garde des jokers pour défendre une idée qui nous tient à cœur, mais il n’y a jamais eu de conflits. C’est un ping-pong créatif : on se renvoie la balle, comme dans une jam session musicale, où chacun joue son instrument mais où le but est d’harmoniser l’ensemble.
Réaliser les quatre premiers épisodes, c’est donner le ton de toute la série. Pression ou excitation ?
Maxime Pistorio :
Les deux ! J’étais heureux d’ouvrir le bal, de créer le duo des acteurs principaux et d’installer le ton déjà présent dans l’écriture. Mais il fallait transformer l’essai : le premier jour de tournage, une grande partie reposait sur mes épaules.
Finalement, ça a été un soulagement de voir qu’on était tous sur la même longueur d’onde : auteurs, production et chaîne. On faisait le même film, avec une vision commune.
Quel est votre quiproquo préféré dans la série ?
Étienne Bloc :
Pour Julia, dans l’épisode 3 : elle est persuadée qu’un homme d’affaires pratique le stand-up paddle. Elle l’invite donc à un rendez-vous romantique au bord de l’eau… sauf que lui joue en réalité au paddle-tennis. La rencontre tourne à la catastrophe.
Maxime Pistorio :
Pour moi, c’est la scène de médiation. Juste avant d’entrer, Julia dit : j’espère qu’on n’aura pas droit à l’orange. Plan suivant : une orange. J’adore ce petit moment jubilatoire où l’on comprend que tout va mal tourner.
Vous êtes-vous inspirés de situations réelles pour nourrir l’humour et les quiproquos ?
Étienne Bloc :
Oui. Christophe Beaujean, l’un des auteurs, était avocat pendant dix ans. Il avait donc beaucoup d’anecdotes du monde judiciaire : le jargon incompréhensible, les petites absurdités… Cela nous a nourris. La réalité est souvent pleine d’humour, il suffit d’aller le chercher.

Comment s’est passée la collaboration avec les comédiens ? Certains avaient-ils un vrai talent naturel pour le quiproquo?
Maxime Pistorio :
Oui, il y avait beaucoup de talents comiques. Myriam Akheddiou, par exemple : on ne pense pas forcément à elle pour de la pure comédie, mais elle a embrassé ce style à fond, avec des expressions faciales exagérées mais toujours justes.
Amine Amidou, dans le rôle de Lycose, a un instinct comique incroyable. Il improvise énormément, ce qui déstabilise parfois sa partenaire… mais cette surprise nourrit le jeu.
Dans l’ensemble, on avait une belle troupe d’acteurs comiques : Marie Kremer, Tony D’Antonio, Bachata, Baptiste Sornette, Hamza… une vraie ribambelle.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer Quiproquo ?
Etienne Bloc :
À l’origine, c’était le désir de Mochelan de parler de sa ville. Comme auteurs, ce qui nous a motivés, c’était le mélange des genres : comédie, drame, musique, justice.
Chacun y trouvait son compte : Christophe venait du droit, moi du hip-hop, Camille aimait les personnages marginaux. On voulait apporter ce côté hybride, capable de passer du rire aux larmes.
Maxime Pistorio :
Et il faut préciser que, pour nous, c’était une commande au départ. Le producteur a eu l’idée de base, a réuni les bonnes personnes… et peu à peu, on s’est approprié le projet pour en faire une œuvre de passion.
Avez-vous des méthodes particulières pour brainstormer les intrigues et dialogues ?
Etienne Bloc :
Oui, la série devait être “semi-bouclée” : une intrigue fil rouge sur la saison, mais aussi une intrigue propre à chaque épisode. On s’est inspirés de séries comme Sex Education qui utilisent ce format.
On structurait chaque épisode en équilibrant le fil rouge, les cas particuliers et le duo principal. C’était important que le duo reste vivant dans chaque scène.
Pour les dialogues, c’était assez libre : celui qui se sentait le plus à l’aise écrivait, puis on validait à trois.
Comment décidez-vous quelles idées restent et lesquelles sont écartées ?
Etienne Bloc :
Il y a plusieurs étapes : entre auteurs, avec le réalisateur, puis avec la production et même l’équipe technique. Certaines idées sont éliminées pour des raisons de rythme, d’efficacité ou tout simplement de budget. Ce qui reste, c’est ce qui sert le mieux l’histoire.
Quel personnage vous a le plus amusé à écrire ?
Etienne Bloc :
Julia, sans hésiter. Elle peut tout se permettre, c’était un vrai terrain de jeu. Mais j’aimais aussi beaucoup écrire des personnages candides : leur naïveté me touche et me fait rire.
Maxime Pistorio :
Pour moi, Jason. Un personnage tendre et un peu décalé.
Y a-t-il des références qui ont guidé le ton de la série ?
Maxime Pistorio :
Subjectivement, j’y vois un lien avec Better Call Saul, pour le côté “justice en marge du système”. Mais aussi avec Treme, une série sur La Nouvelle-Orléans après l’ouragan, où les personnages doivent réinventer leur vie.
Visuellement, on s’est inspirés de Better Call Saul mais aussi d’une série québécoise, Mentantu, qui avait peu de moyens mais mettait toute son énergie dans les personnages.

Qu’avez-vous ressenti en voyant la série sélectionnée et récompensée au Festival de La Rochelle ?
Etienne Bloc :
Une grande surprise, car on pensait être disqualifiés (la série avait déjà été diffusée en Belgique). Mais comme elle était inédite en France, elle a pu concourir.
La récompense a été une immense fierté, d’autant que le public était très présent et que le jury a salué l’originalité du projet. Ça nous a confortés dans notre démarche.
Y aura-t-il une saison 2 ?
Maxime Pistorio :
Personne ne nous a dit non. Personne ne nous a dit oui non plus ! Mais on espère que le prix permettra une diffusion à l’étranger et, qui sait, une saison 2.
Une anecdote de tournage à partager ?
Etienne Bloc :
Nous avions interrogé des avocats pour éviter les caricatures… et finalement, la réalité dépassait nos exagérations ! Par exemple : au bar du Palais de Justice, l’alcool n’est servi qu’après 11h30 du matin.
Maxime Pistorio :
En repérage à Charleroi, on nous mettait en garde pour notre sécurité. Un jour, on a vu une bagarre au couteau en pleine journée, à trois mètres de nous. On a eu peur ! Mais finalement, les habitants nous ont adoptés, et assuraient eux-mêmes notre sécurité et notre tranquillité sur le tournage.
Si vous pouviez réécrire un épisode différemment ?
Étienne Bloc :
Peut-être l’épisode 8, pour en faire un tremplin plus clair vers une saison 2. Mais en réalité, je les aime tous.
Maxime Pistorio :
Oui, tout est réécriture dans une série : scénario, répétitions, tournage, montage. Donc je n’y toucherais pas.
Un vrai quiproquo pendant la création de la série ?
Etienne Bloc :
Oui : le titre. À l’origine, la série s’appelait Pays Noir. Mais ça donnait une impression de thriller sombre, alors qu’on voulait autre chose. Le changement de titre, décidé à la dernière minute, a été un vrai quiproquo en soi.
Quels sont vos projets à venir ?
Maxime Pistorio :
Je travaille actuellement sur le premier long métrage d’une réalisatrice belge, et je termine aussi le financement de mon propre long métrage, Belleadonne, une comédie noire et fantastique.
Etienne Bloc :
De mon côté, je passe aussi à la réalisation avec un court métrage pour la RTBF, diffusé à Noël. C’est très amusant d’écrire une comédie de Noël avec ses codes et prérequis.
Propos recueillis par Stéphanie
Photos : Lucas Sevrin