Michel Fugain : « Chante, même faux, mais chante car chanter, c’est vivre ! »

A 83 ans, Michel Fugain n’a rien perdu de son énergie. L’homme qui a fait chanter des générations entières avec Une belle histoire ou Chante est toujours sur scène, fidèle à son credo : partager, transmettre et vivre pleinement. Avec son nouvel album La Vie, l’Amour, etc., il enrichit son répertoire sans jamais renier ses classiques.
Le 30 septembre prochain, il sera à Woluwe-Saint-Lambert pour un concert qui promet d’être à la fois festif et émouvant. À cette occasion, nous avons rencontré Michel Fugain pour une interview sans détour, où l’artiste revient sur son parcours, ses inspirations et son regard sur la vie.

Vous avez quitté la médecine pour le cinéma, puis le cinéma pour la chanson. Finalement, est-ce que vous vous sentez plus médecin des âmes que chanteur ?

C’est une bonne question ! Mais j’ai quitté la médecine il y a… 70 ans ! (rires) Donc, oui, si aujourd’hui je ne me sentais pas un peu médecin de l’âme, ce serait que j’ai raté mon parcours. Alors, la réponse est simple : oui.

D’ailleurs, je crois que j’aurais été un très bon généraliste. Mon père l’était, et j’ai toujours pensé que la médecine générale, c’est un métier d’âmes. Quand les curés ont perdu leur rôle de confidents dans les familles, ce sont les médecins qui l’ont assumé. Mon père, par exemple, ramenait parfois à la maison des jeunes filles en danger, menacées par leur propre père… C’était ça aussi, être médecin. Bref, j’aurais fait un bon généraliste.

En 1966, vous sortez votre premier disque. Imaginiez-vous être encore sur scène plus de 50 ans plus tard ?

Pas du tout ! Je n’imaginais rien, en fait. Je vis seulement maintenant une période où je peux envisager ce qui vient après. Mais devant moi, il me reste une quinzaine d’années, et je les regarde comme un terrain de jeu.

Je suis toujours le même qu’il y a 40 ans, à deux ou trois détails près (merci l’âge). Mais j’ai la même énergie. Et je crois que c’est ça qui m’a permis de durer : l’énergie, l’humilité, et cette façon de prendre les choses comme elles viennent, même quand elles ne se passent pas comme prévu. On fait le dos rond, on attend que ça passe.

Le Big Bazar a marqué toute une génération. Quelle était la recette de cette énergie collective incroyable ?

Il n’y avait pas de recette ! Il y avait juste une génération pleine d’énergie, et moi qui avais envie d’en profiter. Eux avaient 20-25 ans, moi 30. Et puis c’était une époque particulière : après Mai 68, un véritable séisme planétaire, il fallait réinventer. Le Big Bazar est arrivé à ce moment-là, avec un peu d’utopie et beaucoup d’espoir.

Vous avez travaillé avec Michel Sardou, Dalida, etc. Quelle rencontre a le plus bouleversé votre parcours ?

Incontestablement, Michel Sardou. Un soir, au Scossa, une brasserie place du Trocadéro, il dit : « Je veux passer une audition chez Barclay. » À partir de là, tout a basculé. Nous étions apprentis comédiens, moi apprenti cinéaste, mais le lendemain, on s’est mis à écrire des chansons pour lui. Et on n’a plus jamais remis les pieds dans un cours de comédie.

On dit que vous êtes un grand mélodiste. La mélodie, ça vient comme un cadeau ou c’est du travail ?

C’est toujours du travail. Notre métier, c’est celui d’un artisan. Trouver un air, c’est un métier de « trouveur d’air », comme j’aime dire. Mais c’est enraciné dans plein de choses : le jazz, le bop, les harmonies. Ce n’est pas forcément technique, c’est surtout un rapport de bien-être avec la musique.

En 2024, vous sortez La Vie, l’Amour, etc. Qu’avez-vous voulu dire avec cet album ?

D’abord, il existe pour rafraîchir mon spectacle, pour ajouter des chansons. Pas pour remplacer les anciennes. Il y a par exemple Les Chimères, qui parle des années 70. Je voulais offrir de nouvelles couleurs, mais en sachant très bien qu’on ne passe plus à la radio, qu’il n’y a plus vraiment de ventes de disques. Je travaille aujourd’hui avec une maison de distribution numérique.

Ce qui me reste, c’est la scène. Et la scène doit être humaine. Pas question de faire de la musique avec une intelligence artificielle qui n’a jamais pris une gifle ou une fessée (rires). Les gens, eux, ont vécu, et c’est avec eux que je partage mes chansons.

Comment choisissez-vous les chansons qui traversent le temps ?

Par le sens. Je tiens à ce qu’un spectacle raconte quelque chose. La Vie, l’Amour, etc. dit déjà beaucoup : la vie a un début, une fin, et entre les deux, il y a les etc.

Des projets à venir ?

Oui ! Fin octobre, je pars au Québec avec Claude Larrivée, un producteur, pour monter un nouveau spectacle. Et avec lui, il y a aussi l’idée d’une grande « comédie musicale » (moi j’appelle ça une bouffonnerie musicale). Ce sera peut-être mon point d’orgue.

Et la Belgique, dans tout ça ?

Ah, la Belgique… (sourire) Je la connais depuis 60 ans. Je n’ai jamais fait de différence entre les Wallons et les Français du Nord : mêmes sensibilités, même chaleur. Bon, j’ai parfois été vexé en Flandre, quand on ne me répondait pas parce que je parlais français… Mais dans l’ensemble, j’ai toujours travaillé avec des Belges.

Si vous deviez résumer votre vie en une chanson ?

Sans hésiter : Chante. J’entre en scène avec, je termine avec. Elle dit exactement le message que je veux laisser : chante, même faux, mais chante. Parce que chanter, c’est vivre.

Comment votre façon de chanter l’amour a-t-elle évolué ?

A 20 ans, on croit aimer. Mais à 60 ans, quand j’ai rencontré Sanda, ma compagne, j’ai découvert ce que ça voulait dire, aimer vraiment. À cet âge-là, on ne se trompe plus. Et ça n’a rien à voir avec le bonheur tout lisse qu’on imagine. Le bonheur, ce sont des petits moments, des fragments. Ce qui compte, c’est d’assumer sa vie, ses passions, même quand elles apportent leur lot de difficultés.

Y a-t-il une chanson que vous auriez rêvé d’écrire, mais qui n’est pas de vous ?

Aucune ! Chaque chanson appartient à l’âme de celui qui l’a écrite. L’important, c’est l’unicité. Favorisons ça, plutôt que de suivre des influenceurs, ce qui est, à mes yeux, une catastrophe.

Après la vie, l’amour, etc., il reste quoi ? Le dessert ?

Le dessert ! (rires) J’ai déjà commencé à le savourer. Après 60 ans de carrière, les gens viennent me voir, ils reconnaissent quinze chansons incontournables… C’est la preuve qu’on a bien fait notre boulot, ma génération et moi. Et ça, c’est déjà un très beau dessert.

Propos recueillis par Stéphanie

Photos : Ingrid Mareski