Chorégraphe, danseuse et coach artistique, Gladys Gambie a collaboré avec certains des plus grands noms du cinéma, de la musique et de la mode. Du Bollywood flamboyant de Toi, moi, les autres à l’univers élégant d’Emily in Paris, en passant par Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu ou encore les shows d’Imany et Mathieu Chédid, elle façonne des moments où le mouvement devient langage. A la croisée de la danse, du théâtre et du cinéma, elle explore un métier méconnu : celui qui transforme quelques lignes dans un scénario en émotions palpables à l’écran. Rencontre avec une artiste qui a fait de la chorégraphie un art narratif, et qui continue de tracer sa route avec passion et exigence.

Tu es de retour à l’écran avec 2Be3 de Yael Langman. Peux-tu nous parler de ton rôle et de ce que ce projet représente pour toi ?
Sur la série de Yael, j’ai assuré le coaching des comédiens principaux un « voice band » en danse, mais aussi un peu en chant. J’ai écrit des scènes chorégraphiques, coaché des acteurs qui n’étaient pas danseurs… Ça a été un travail colossal ! J’ai également tenu un petit rôle : celui de la chorégraphe ayant contribué à leur succès dans la vraie vie.
Et pour Sortilège à l’Opéra, comment as-tu abordé ce projet mêlant musique, danse et jeu ?
C’était aussi un tournage en Belgique, et l’une de mes premières expériences où je combinai danse et jeu en tant que comédienne. J’avais déjà fait cela dans la comédie musicale Toi, moi, les autres, mais là, je jouais une professeure de danse classique ancienne danseuse de ballet . Ce qui est incroyable, c’est que dans la réalité, il n’y a pas de danseurs noirs à l’Opéra de Paris, et c’est très compliqué d’y faire carrière quand on est noir·e. J’ai vécu ce rôle comme une revanche personnelle : incarner à l’écran quelque chose d’impossible en France, mais parfaitement naturel dans les pays anglo-saxons.
Tu as tourné avec Cédric Klapisch, Audrey Estrougo, Marion Vernoux… Qu’as-tu retenu de ces collaborations ?
Chaque réalisateur est différent. Certains sont extrêmement précis, très présents en répétition, d’autres font plus confiance. Avec Audrey Estrougo, on a fait plusieurs films ensemble ; elle me laisse une grande liberté, et je peux lui proposer des idées qu’elle n’avait pas envisagées. Selon les projets, l’approche varie : si la danse est centrale dans une scène, il y a un gros travail préparatoire ; si c’est juste une scène légère (mariage, anniversaire…), c’est plus succinct.
Le film Toi, moi, les autres revient souvent dans ta filmographie. Quelle place occupe-t-il dans ta carrière ?
C’est ma plus grosse collaboration avec Audrey Estrougo : près de huit mois de travail, une dizaine de chorégraphies, plus de 600 danseurs castés et 300 sur le plateau. On avait peu de moyens, tout était très artisanal, mais c’était un vrai laboratoire créatif.
C’était ambitieux : Audrey voulait, par exemple, un tableau Bollywood, mais sans idées précises pour le reste, donc on a tout imaginé ensemble. Cela m’a donné envie de poursuivre dans le cinéma.
En quoi la danse influence-t-elle ton jeu d’actrice ?
La rigueur, la répétition, l’usage de l’espace. Le danseur a une conscience naturelle du mouvement, du rythme et de la relation à l’espace, ce qui sert beaucoup dans le jeu.

Tu as chorégraphié pour Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu, Emily in Paris, Eiffel… Comment adaptes-tu ton langage chorégraphique à l’écran ?
Souvent, le réalisateur a déjà une vision précise. Pour Emily in Paris, par exemple, il voulait une scène onirique où tout le monde était habillé en Marie-Antoinette. J’apporte alors des propositions, et on travaille ensemble en répétition. Chaque tableau doit avoir sa signature : parfois africaine, parfois urbaine… Tout dépend de la cohérence avec le film.
Et qu’as-tu fait sur le film « Suprême » ?
j’ai scénographié tous les concerts live en amont : chorégraphie , coaching vocal et posture scénique et je suis assez fière du résultat 🙂
Quelles sont les différences entre chorégraphier pour un clip, un film ou une série ?
La différence, c’est surtout le temps. En série, on a plus de marge pour préparer et répéter, parfois sur plusieurs mois. Les clips m’intéressent moins, sauf en live avec un artiste comme avec Mathieu Chédid ou Imany, où la scène me passionne.
Un souvenir marquant ou une scène difficile ?
Le Bollywood de Toi, moi, les autres : il fallait synchroniser un mouvement de caméra très précis avec la chorégraphie. La caméra est comme un danseur supplémentaire ; si elle rate le bon angle au bon moment, tout tombe à plat. Il faut une vraie coordination avec l’équipe technique.
Tu es aussi directrice artistique et metteuse en scène. Comment abordes-tu cette casquette ?
J’accompagne les artistes du début à la scène. Avec Imany, par exemple, j’ai mis en mouvement huit violoncellistes qui jouaient debout en dansant, un vrai défi technique ! Avec Mathieu Chédid, on a travaillé la coordination corps-instrument.
Chaque projet est une nouvelle aventure artistique et humaine.
Et pour de grands shows comme La Nouvelle Star, les défilés Lacoste ou la cérémonie des Césars ?
Le travail reste similaire, mais l’environnement change. Dans un défilé, il y a une grosse structure, beaucoup de réunions et de validations administratives. Pour les César, c’était plus direct : je faisais danser Antoine de Caunes, on s’entendait très bien.
La Nouvelle Star avait l’intensité du direct, ce qui est grisant.

As-tu vu l’industrie évoluer depuis les années 2000 ?
Oui, surtout dans l’accès aux talents : aujourd’hui, on peut trouver et contacter des danseurs grâce aux réseaux sociaux, sans passer par d’énormes auditions. En tant que femme noire, les obstacles persistent, surtout sur les salaires, mais j’ai appris à m’entourer d’un agent et d’un avocat pour défendre mes intérêts. Avec le temps, j’ai plus confiance en moi et je sais exactement ce que je veux.
Comment choisis-tu tes projets aujourd’hui ?
Par des rencontres, avant tout. Souvent, ce sont elles qui déclenchent tout. Certains projets démarrent fort mais n’aboutissent pas, d’autres se concrétisent au fil du temps. L’économie actuelle rend les choses plus compliquées, beaucoup de projets tombent à l’eau. Très souvent, ce sont aussi des gens qui me connaissent et me suivent depuis longtemps qui m’appellent. Ce n’est pas plus compliqué que ça.
Si tu pouvais parler à la Gladys des années 2000, sur le tournage de son premier film avec Jacques Audiard, que lui dirais-tu ?
Je lui dirais : « Continue, c’est un chouette métier. » À l’époque, on n’était pas beaucoup à faire de la chorégraphie dans le cinéma. Je ne savais même pas que c’était un vrai métier. Je pensais que j’étais danseuse, chorégraphe, et que je faisais ça pour apporter une touche de mouvement dans les films, presque comme un bonus. Mais c’est un métier à part entière. On travaille l’humain, on accompagne des comédiens qui arrivent parfois avec de vrais blocages : « Je ne sais pas danser », « Je n’aime pas ça », « Je n’en ai jamais fait ». Et pourtant, il faut créer la magie.
Parfois, dans un scénario, il est simplement écrit : « Bernard et Francine dansent une danse endiablée ». Rien de plus. C’est à moi de donner corps à cette idée, de transformer la phrase en réalité crédible et belle.
Je pense à Gainsbourg (Vie héroïque). Je devais chorégraphier la scène où Bardot (incarnée par Laetitia Casta) danse sur le piano. J’ai travaillé sur l’idée que Brigitte Bardot avait un fond de danseuse classique, avec des postures précises, très ballet. Elle avait une grâce naturelle mais il fallait structurer cela pour la caméra.
Ce travail, c’est aussi savoir convaincre un comédien, parfois une icône, de se laisser guider, de trouver le plaisir dans la danse. Et quand la magie opère, c’est incroyable.
Oui, c’est un métier, et il faut en savourer chaque seconde, sans jamais lâcher.
Propos recueillis par Stéphanie
Photos : Claire Grandnom
Agence Singularist Paris, agent : Marie Mingalon